France : action de groupe contre l’État pour mettre fin aux contrôles d’identité au faciès
PARIS—« La France n'a pas pris les mesures nécessaires pour empêcher et sanctionner les contrôles d’identité au faciès, une forme de discrimination systémique », ont déclaré aujourd'hui six organisations françaises et internationales de défense des droits humains en lançant une action de groupe contre l'État français.
Me Antoine Lyon-Caen, avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, porte l'affaire devant le Conseil d'État, la plus haute juridiction administrative française, au nom de la Maison Communautaire pour un Développement Solidaire (MCDS), Pazapas, Réseau Égalité, Antidiscrimination, Justice Interdisciplinaire (Reaji), Amnesty International France, Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative.
Cette action de groupe fait suite à une mise en demeure adressée le 27 janvier 2021 au Premier ministre, au ministre de l’Intérieur et au ministre de la Justice pour leur demander d’engager des réformes structurelles et des mesures concrètes afin de mettre un terme aux pratiques policières discriminatoires, qui ont été reconnues par le président de la République. Les autorités n’ont pas répondu à la mise en demeure dans la période de quatre mois prévue par la loi. Les organisations regrettent ce silence, particulièrement douloureux pour celles et ceux qui subissent au quotidien ces discriminations insupportables.
Cette action de groupe constitue une procédure innovante en ce qu’elle permet à des associations de la société civile de demander à la justice de contraindre les autorités responsables à prendre les mesures utiles à la disparition des graves illégalités que constitue cette pratique généralisée.
La requête de 220 pages adressée ce jour au juge administratif comprend de nombreux témoignages de personnes ayant subi des contrôles d'identité discriminatoires dans différentes villes à travers le territoire français (Paris, Rennes, Beauvais, Lorient, Châtellerault, Eybens, Lyon, Toulouse et Lille), ainsi que ceux de plusieurs policiers confirmant ces pratiques discriminatoires.
Les organisations requérantes demandent au Conseil d'État de constater le grave manquement de l'Etat consistant à laisser perdurer la pratique systémique des contrôles au faciès, et d'enjoindre aux autorités de prendre les mesures nécessaires pour y remédier, notamment :
- réformer les contrôles d’identité. Après avoir expressément prohibé toute forme de discrimination, il s’agit de supprimer les contrôles d'identité administratifs et d’encadrer strictement le pouvoir de police lors des contrôles judiciaires ou sur réquisition, afin notamment de garantir que le contrôles ne soient fondés que sur un soupçon objectif et individualisé ;
- adopter des mesures et instructions spécifiques pour les contrôles ciblant les mineurs ;
- créer un système permettant de fournir aux personnes contrôlées un justificatif de leur contrôle et d'évaluer ces contrôles ;
- créer un mécanisme de plainte indépendant et efficace ;
- modifier les objectifs institutionnels, les directives et la formation de la police, notamment en ce qui concerne les interactions avec le public.
Cette action en justice historique intervient du fait de l’inaction des autorités françaises qui, depuis des années, laissent se perpétuer des pratiques illégales affectant quotidiennement un grand nombre de personnes en France. Elle prend appui sur les nombreuses preuves établissant que la police procède, de manière généralisée, à des contrôles d’identité au faciès sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Par l’absence d’encadrement strict conforme au principe de non-discrimination, la police dispose de pouvoirs trop étendus qui permettent d’effectuer de tels contrôles discriminatoires. Des études quantitatives montrent, en effet, que les hommes et les jeunes garçons perçus comme noirs ou arabes sont ciblés de manière disproportionnée lors de contrôles d’identité et de fouilles. Des études qualitatives montrent les effets dévastateurs de telles pratiques sur les victimes, y compris sur des enfants âgés d'à peine 12 ans.
La requête adressée au juge administratif démontre comment ces contrôles au faciès constituent une discrimination systémique—c’est-à-dire, selon la définition du Comité des droits économiques, sociaux et culturel des Nations unies, ancrée dans « un ensemble de règles juridiques, de politiques, de pratiques et d’attitudes culturelles prédominantes dans le secteur public (…) qui créent des désavantages relatifs pour certains groupes, et des privilèges pour d’autres groupes »—et souligne la réponse inadéquate de l’Etat pour y mettre fin. Parmi les mesures isolées qui ont montré leur insuffisance figurent notamment l'utilisation de caméras-piétons et l'obligation pour les policiers de porter un numéro d'identification. Les autorités ont toujours rejeté toute tentative visant à instaurer un dispositif de traçabilité des contrôles d’identité et de répertorier l’ensemble de ces contrôles.
L'absence d'un mécanisme indépendant, impartial et transparent permettant de rendre des comptes sur les pratiques policières discriminatoires favorise l'impunité, ce qui participe à rompre la confiance entre la police et les citoyens. Alors que l'Inspection générale de la police nationale (IGPN) se trouve sous la tutelle du ministère de l’Intérieur, elle est pourtant, à l’heure actuelle, seule chargée des enquêtes administratives et pénales.
Récemment, le 28 juin 2021, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a épinglé la France en raison des contrôles d’identité au faciès dans son rapport sur la « Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Africains et des personnes d’ascendance africaine face au recours excessif à la force et aux autres violations des droits de l’homme dont se rendent coupables des membres des forces de l’ordre ». Auparavant, d’autres instances
européennes et onusiennes avaient également exhorté les autorités françaises à mettre un terme aux contrôles d’identité discriminatoires.
Le 8 juin dernier, la Cour d'appel de Paris, a, une fois de plus, condamné l’État pour « faute lourde » dans l’affaire des contrôles d’identité discriminatoires de trois lycéens qui revenaient d’un voyage scolaire, dans une gare parisienne, en 2017.
Le Défenseur des droits a critiqué également à plusieurs reprises les contrôles d'identité discriminatoires et a appelé à une réforme. En 2016, la Cour de cassation a jugé que les contrôles d’identité de trois jeunes hommes étaient discriminatoires et a retenu une « faute lourde engageant la responsabilité de l'État ».
Le Conseil d'État a les facultés d'ordonner à l'État de mettre fin à cette pratique stigmatisante, humiliante et dégradante.
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