Cette décision de la Cour africaine pourrait empêcher des abus électoraux pendant le COVID-19

Une femme exerce son droit de vote dans un bureau de vote à Stone Town, Zanzibar, le 28 octobre 2020. © Marco Longari/AFP/Getty

En juillet dernier, la commission électorale sud-africaine a annoncé (EN) qu'elle reportait les élections locales d'octobre après qu'une enquête ait révélé que les élections ne seraient pas "libres ou équitables" si elles avaient lieu pendant la dernière vague d'infections au COVID-19 dans le pays.

La commission électorale sud-africaine a tiré cette conclusion une semaine à peine après que la Cour africaine des droits de l'homme et des peuples a rendu une décision inédite appelant tous les États membres de l'Union africaine, y compris l'Afrique du Sud, à garantir des élections transparentes, libres, et équitables pendant la pandémie. L'Open Society Justice Initiative est intervenue en tant que co-avocat dans cette affaire avec la Pan African Lawyers Union (PALU).

L'avis consultatif de la Cour constitue une première pour un tribunal international majeur, au moment où le COVID-19 a des conséquences considérables (EN) sur la participation démocratique et les élections en Afrique. Sa signification ne doit donc pas être sous-estimée ou ignorée.

L'Afrique du Sud est le tout dernier pays, sur au moins 78 dans le monde entier (EN), à avoir été contraint de reporter des élections à cause du COVID-19. De ce nombre, 18 % se trouvent en Afrique. Ce report des élections locales en Afrique du Sud ne sera probablement pas le dernier, même si certains pays et administrations locales ont démontré que le vote en personne était possible et sûr (EN). Dans le cas de l'Afrique du Sud, cependant, la Commission électorale a pris la décision en toute indépendance et après délibération, ce qui lui a valu le soutien (EN) de la population et des partis politiques. Ceci est loin d'être la norme dans d'autres pays.

Depuis 2020, plusieurs pays africains ont introduit une série de normes et de pratiques dans la gestion des élections pendant la pandémie. La plupart d'entre elles ont suscité la controverse, donnant l'impression que les autorités au pouvoir ont profité de la pandémie pour prédéterminer l'issue des élections.

Le report des élections générales de juin 2020, décidé (EN) par le gouvernement éthiopien, a précipité le pays dans une guerre civile (EN). Au Mali, la perception que le gouvernement s'est servi de la COVID-19 comme couverture pour manipuler les élections législatives de mars 2020 a provoqué un soulèvement populaire (EN) qui a mené au renversement du gouvernement constitutionnel. Entre les crises malienne et éthiopienne, le président du Burundi, Pierre Nkurunziza, a obtenu une victoire du parti au pouvoir au cours d'élections manipulées à l'ombre de la COVID-19. Après avoir souvent minimisé la menace du COVID-19 pendant la campagne, sa mort soudaine (EN) peu après, provoquée par une maladie que beaucoup soupçonnent être la COVID-19, a plongé le pays dans une crise de succession.

Au regard de ces expériences courantes, la décision de la Cour africaine précise avec clarté ce que les dirigeants en place peuvent et ne peuvent pas faire au nom de la pandémie pour se maintenir au pouvoir. Dans leur mémoire présenté à la Cour, PALU et la Justice Initiative ont affirmé que, bien que la conduite des élections relève de la compétence individuelle des États africains, la manière dont elles sont organisées implique le respect d'obligations internationales, car les élections supposent la réalisation de droits de l'homme garantis par des traités régionaux, notamment la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples. Les élections sont aussi susceptibles de conditionner la stabilité nationale et d'affecter la paix et la sécurité régionales.

De manière décisive, la Cour a estimé que lorsqu'un pays décide d'organiser des élections pendant la pandémie, il doit prendre des « mesures appropriées » pour empêcher la transmission du COVID-19, sans porter atteinte à « l'+G12intégrité du processus électoral ». Concrètement, qu'est-ce que cela signifie ? La Cour a précisé les mesures qui ne doivent pas être autorisées pendant la période électorale, notamment les restrictions concernant :

  • la campagne electorale,
  • l’accès juste et équitable aux médias d'État,
  • la surveillance du processus électoral par les candidats,
  • les partis politiques et les institutions publiques compétentes en matière d'inscription des électeurs,
  • l'observation des élections par des observateurs nationaux et internationaux,
  • l'intégrité du vote secret,
  • la participation au processus de décompte des voix et de publication des résultats des élections par les partis politiques, les candidats et tout autre acteur pertinent pour la transparence des élections,
  • la possibilité de contester les résultats devant les instances administratives et judiciaires compétentes, le cas échéant.

Pour être conformes au droit, les restrictions doivent, a fait observer la Cour, remplir cinq conditions principales, à savoir : poursuivre un but légitime, être consacrées par une loi applicable à tous, être proportionnées, compatibles avec le contenu essentiel du droit à la participation et ne pas constituer une forme de discrimination.

Expliquant l'exigence de proportionnalité, la Cour a rappelé que toute restriction, dans une société démocratique, doit être nécessaire, avoir une échéance claire (ne peut être illimitée), et être " assortie de garanties afin d'éviter une application abusive. "

La semaine suivant la publication de la décision de la Cour africaine, une controverse politique a éclaté au Kenya sur la question de savoir si elle autorisait ou non le report des élections générales de ce pays qui doivent se tenir en 2022, des politiciens de haut rang exprimant des opinions divergentes sur les implications de la décision.

Au Sénégal, les élections locales ont été reportées à plusieurs reprises depuis 2019. En Gambie, où l'année 2021 a commencé par le report de l'inscription des électeurs, rien ne garantit que l'élection présidentielle prévue pour le 4 décembre 2021 se tiendra à la date prévue. Pour ces élections, ainsi que pour les 16 autres prévues en Afrique en 2022, l'avis consultatif de la Cour africaine pourrait contribuer à façonner la manière dont les partis et les gouvernements concevront des mesures de protection pour garantir une participation effective des citoyens et des élections crédibles malgré la pandémie.

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